poemes

Dans l'avion entre Nimes et Londres, le 12 novembre 2002.
Il y a mille ans nous étions amants
vous en souvenez vous ?
Un matin nous nous disputâmes si fort,
l’enfant en fut éveillé...
Sur la placette,
la fontaine s’était arrêtée de couler,
sans cette musique, nous n’étions plus harmonie,
c’était comme si,
nous n’avons plus notre maison :
L’eau coule en chanson,
elle s’esclaffe, elle rit, elle se noie parfois,
elle rebondit, dessine de minuscules vagues, des cercles...

Le bâtisseur dit que ces cercles ont une âme,
que ces chants ci sont célestes,
il le dit et ses yeux se mouillent,
fabriquent des cristaux...
Le bâtisseur est si jeune, derrière sa barbe blanche,
il porte une équerre d’or pendu à son cou
mais sa bure est modeste, son tablier percé, usé,
il porte une pâleur étrange,
mais ses yeux ont l’éclat des gens de forge...

Ce début de journée fut triste pourtant,
je ne peux prononcer de mauvais mots,
ni avoir de mauvais regard pour vous,
mais ce terrible silence naît entre nous...
un peu comme si, la bâtisseur et son sourire
s’étaient mis à disparaître...
J’eus l’envie vous prendre dans mes bras
et l’envie se retint comme une pierre
dans toute ma poitrine...
J’eus l’envie de vous soulever de terre
soulager votre petit corps à le rendre feuille,
alléger votre cœur à le rendre aimant...
L’envie fut si fort mais je fut si tendre,
mes bras et mes jambes ne me portaient plus,
l’air était si lourd !

Ce que l’eau de la fontaine ne me dit pas
ce matin là, m’a laissait comme une brindille sèche,
une feuille jaunie de l’automne,
je pensais à cette vieille armure
jaunissante dans la rivière,
le bâtisseur dit d’elle
qu’elle dore l’eau et la charge de fer,
qu’elle fait aller le temps de l’avant,
que son espoir fond
lors que le nôtre grandit,
il dit encore qu’il en est ainsi de la misère :
elle s’use à tenter l’impossible,
à prendre les pauvres gens pour cibles...
Que si les enfants apprennent à la regarder,
elle prendra peur, ou honte, ou pitié...

L’air était chargé,
la forge elle même ne s’était mise à battre,
le coq se mit à bégayer
comme le pauvre bougre du troisième chemin...
J’eus tout à coup la vision d’un ange noir,
il s’approchait de toi, t’encerclait de ses bras
et comme un tourbillon t’entraînait
dans une danse invisible, et lente,
dans un silence si profond, si dense, dense...

Tes regards traçaient des cercles dans le mitant
de notre petite maison,
comme le compas de bois du bâtisseur
tourne autour de ses doigts,
et tu devins pâle et lointaine,
et tu ne revins plus tout à fait...

L’air était devenu glacé
je me souviens, tu me souriais des lèvres
et tes yeux me voyaient de si loin...
Etendue sur le battu, inondée, défaite,
tu tremblais si faiblement,
lorsque je te pris la main,
elle pesait l’enterrement...

De notre dispute, il ne restait plus rien ;
L’enfant, sur ses quatre pattes
s’était approché, tout doucement,
avait tété la sueur de ton front,
puis avait grimacé...

Le temps avait vécu un jour tout entier
avant que le chemin ne reprenne vie,
l’eau de la fontaine se remit à couler,
la forge à retentir,
le coq avait raclé sa gorge et se la faisait chaude ;
l’enfant se mit à babiller...

Depuis ce jour
lorsque le bâtisseur passe ses regards
sur le pas de notre porte,
ils brillent tristement,
il dit de l’eau qu’elle tinte comme le temps,
qu’elle compte les heures
comme le clocher conte mâtines et couchers...
Il dit d’elle qu’elle coule au fond des choses
comme toi tu coules maintenant
en tapotant le bois de lit,
Il dit que tu coules comme du sable
entre les doigts d’un prince du levant
qui jamais ne grimpe sur son baudet,
qui jamais ne quitte son orient...

Il dit que de ta couche de paille
tu égraines les secondes
qui font de notre enfant un fils vivant,
vif comme l’éclair, et comme l’argent...
Il dit de l’enfant qu’il boit la rivière
et le fer qui est dedans,
qu’il joue du maillet avec l’élégance
des buses et la force de la sève,
qu’il est fait de nos bonnes racines...
Il dit que de là où tu es
tu caresses sa pensée avec tendresse,
que ses cheveux ont la couleur du blé ;
et l’enfant le regarde, avec ses yeux confiants...

Si les soldats lui en laissent le temps
il nous le mènera de part la Provence
dans ces lieux bénis
promenés par la peine du labeur,
baladés par le rythme de l’élevèment ;
Il nous l’a promis,
il passera des ponts, des chaînes de montagnes...
mais il nous reviendra, vivant !
comme vivante l’eau de la fontaine,
joyeuse comme le bègue du troisième chemin,
comme l’eau de la fontaine,
qui à toi, ne dit plus rien...

***